L’erreur la plus fréquente avec les conflits, c'est de ne pas intervenir à temps
Très souvent, les praticiens en gestion de conflits sont appelés lorsque des débordements surviennent et que le milieu de travail subit des conséquences difficilement réparables telles que le harcèlement, la démission, le congé maladie et la démobilisation d’équipe.
Voici 5 stades qui vous aideront à mieux déceler la création et l’évolution d’un conflit au travail afin d’intervenir avant qu’il ne soit trop tard.
Par le biais de cet article inspiré par l’ouvrage de Ghislaine Labelle(1), voici les 5 phases typiques d’escalade d’un conflit au travail.
- L’exclusion
- L’affrontement
- La formation de clans
- L’éclatement/polarisation
- La rupture
1. L’exclusion
Concepts clé : Besoin d’appartenance et perception
L’exclusion peut susciter inconfort, amener à se dissocier de l’autre et à se sentir seul. Ceci impacte directement le besoin humain fondamental d’appartenance et crée un dérangement. Ce premier stade du conflit peut provenir d’une différence de traitement, d’opinion, de parcours professionnel, de genre, de valeur, de nationalité, de génération, de perception ou même d’affinités personnelles.
Ce sentiment peut provenir d’une volonté réelle d’exclusion de la part de l’autre, ou alors être basé sur des perceptions. Différentes situations au travail, parfois bien simples, peuvent le déclencher:
- Ne pas faire souligner sa présence (absence de salutations, d’hochement de la tête, de contact visuel)
- Un désaccord exprimé face à notre projet
- Constater la chimie entre les collègues qui sont au bureau lorsqu’on est en télétravail
- Être la seule personne représentant sa génération dans l’équipe
- Une valeur organisationnelle qui est changée
- Avoir moins d’informations que ses collègues sur un dossier
L’intention d’exclure peut être réelle ou non. Il suffit cependant que le collègue ait la perception qu’il la vit pour que le reste s’enclenche et que l’on risque de glisser tranquillement vers l’affrontement.
2. Affrontement
Concepts clé : Tensions et défense
Après s’être sentie exclue, la personne voudra partager son malaise, exprimer ses besoins et laisser savoir qu’elle n’apprécie pas l’exclusion dont elle fait l’objet.
Parfois fait avec maladresse, ce partage peut créer des tensions et augmenter l’émotivité.
Sous le coup de l’émotion, les propos peuvent être accusateurs, subjectifs et non empathiques. Les deux collègues concernés peuvent alors être tentés d’adopter des comportements visant à se protéger et à défendre leur position ce qui détériore les échanges et la collaboration. En effet, on ajoute de l’huile sur la source du conflit avec une couche de communication agressive et/ou non efficace. Cela peut s’observer par :
- Rétention d’information ou augmentation des délais
- Être en mode « compétition »
- Opposition aux idées de l’autre
- Langage non-verbal (ne pas regarder dans les yeux, rouler les yeux, faire dos à quelqu’un, fermer sa caméra)
- Comportements passifs agressifs (mensonges, condescendance, manigancer pour gagner, mettre l’autre dans l’embarras, etc.)
3. Création de clans
Concepts clé : Séduction et pouvoir
À ce stade-ci, les deux collègues concernés par le conflit recrutent des alliés. Ils cherchent à développer des affinités et prendre du pouvoir pour affronter l’autre clan.
Le conflit interpersonnel bascule donc vers le conflit d’équipe.
Les personnes initialement concernées par le conflit, ainsi que les autres collègues ayant déjà adhéré au clan, tenteront à leur façon de « séduire » les autres collègues afin de les influencer à rejoindre leur clan. Le conflit devient une « épidémie » dans l’équipe. Dans ce contexte, plusieurs tactiques peuvent être entreprises pour persuader les indécis :
- Trouver une insatisfaction sur laquelle miser
- Mettre en évidence les faux pas des rivaux
- Expliquer la situation avec notre perception et non les faits
- Démontrer pourquoi la personne croit détenir la vérité et quelles seront les conséquences si son clan cède
- S’opposer à l’autre clan en public
Le climat de travail et la productivité sont affectés négativement. On peut observer des gens chuchoter, des discussions informelles à portes fermées et plus fréquentes, des silences inhabituels lors des rencontres, des oppositions en blocs.
Certains clans établissent une « hiérarchie » plus ou moins formelle où la personne à l’origine du conflit peut être perçue comme le chef. Alors que d’autres laisseront la place à qui veut bien la prendre.
Dans tous les cas, lorsque l’on creuse un peu on réalise qu’il y a un mouvement d’influence qui provient d’un petit noyau fort.
4. Éclatement ou « polarisation »
Concepts clé : Stratégies et débordements
C’est souvent ici que les organisations font appel à des tierces parties neutres, notamment les médiateurs. Les attaques personnelles sans lien avec l’origine du conflit se multiplient. Avec l’escalade et les différentes parties prenantes aux clans, il est maintenant difficile de distinguer les causes du conflit.
L’équipe fait face à un climat toxique où la communication est souvent brisée et la collaboration absente.
- Harcèlement, incivilité, attaques ouvertes et vicieuses
- Propos injurieux et vulgaire, violence
- Détresse psychologique, éclats de sanglots, demandes d’aide
- Évitement, ignorance des autres, silence
Des sentiments d’impuissance, de colère et de tristesse entachent l’ambiance.
La recherche d’emploi se fait parfois de façon très ouverte. Les conséquences sur le milieu de travail sont notables (haut taux de roulement, baisse de productivité, insatisfaction marquée, etc.). Certaines personnes de l’équipe ont peut-être même déjà quitté le bateau.
5. Rupture
Concepts clé : Blessures et temps
L’équipe comme elle était au départ n’est plus. Elle fait face à divers départs et coupures :
- Congé maladie
- Démission
- Congédiement
- Transfert
- Coupure de communication totale
- Relations brisées
Ceux qui restent évitent les autres la plupart du temps et sont souvent démobilisés.
Il est parfois impossible de reconstituer l’équipe. Il faut parfois retirer des joueurs et en trouver des nouveaux.
Et parfois, on peut réparer les pots cassés. En effet, un rétablissement peut être possible à certaines occasions. Mais il nécessitera temps, professionnalisme, beaucoup d’attention et une grande volonté de changer les choses. On ne peut pas rétablir en un jour ce que l’on a laissé se dégrader pendant plusieurs semaines ou mois.
En ayant une volonté organisationnelle, en s’armant de patience, en posant les bons gestes et en faisant appel à des professionnels, on réussi à renverser la vapeur. Avec la théorie des petits pas, on peut alors commencer tranquillement à recréer un milieu de travail sain et performant.
Conclusion
Lorsque j’interviens dans un conflit en organisation, je remarque que des signaux ont été émis mais n’ont pas eut l’attention nécessaire. Désengagement, silence, exclusion, incivilités, retards, diminution de la performance, pour n’en nommer que quelques-uns.
Le manque de temps, l’ambiguïté, l’incertitude, la pensée magique que le temps arrangera les choses ou la crainte d’empirer la situation. Plusieurs raisons permettent de retarder une intervention en matière de conflits.
Pourtant, les études et l’expérience démontrent que le temps et le manque d’intervention sont des facteurs déterminants dans l’escalade d’un conflit.
N’attendez pas que la situation escalade, intervenez dès les premiers signes pour avoir des relations professionnelles saines et un milieu de travail attrayant et en santé.
*Pour plus d’informations sur le modèle de madame Labelle, nous vous invitons à visiter son site web: https://ghislainelabelle.com/boutique/
Références
Cormier, S. (2004). Dénouer les conflits relationnels en milieu de travail, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université du Québec, 210 p.
Furlong, G. (2020). The Conflict Resolution Toolbox; Models and Maps for Analyzing, Diagnosing, and Resolving Conflict, New Jersey, John Wiley & Sons, 2nd edition. 238 p.
Labelle, G. (2005). Comment désamorcer les conflits au travail, Montréal, Les Éditions Transcontinental Inc., 176 p.
Institut canadien pour la résolution des conflits, https://www.cicr-icrc.ca/