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L'incivilité numérique: où en êtes-vous?

Rédigé par Marie-Michèle Dugas | Sep 3, 2025 1:00:00 PM

Lors d’une réunion d’équipe sur Teams, Sophie envoie un message dans le chat commun : « Je trouve que le dossier avance lentement. » Son intention première est de préparer le terrain afin de proposer son aide à l’équipe ; nouvellement arrivée, elle cherche à collaborer et à briser l’isolement. Jorge, absorbé par d’autres tâches et lisant rapidement, interprète ce commentaire comme une critique directe à son égard. Sans clarification, il réagit : « Si tu n’es pas satisfaite, tu n’avais qu’à le prendre en charge toi-même dès le départ. » Le ton monte rapidement : certains collègues réagissent en privé, des clans se forment, un malaise s’installe. En quelques minutes à peine, une remarque ambiguë, lancée à l’écrit et privée de contexte et de ton, laisse place à l’escalade et génère des tensions qui auraient pu être évitées en présentiel, grâce aux expressions non verbales et à un échange direct.

 

En 2004, le Québec adoptait une loi interdisant le harcèlement au travail, exigeant des employeurs qu’ils protègent la santé, la sécurité, l’intégrité psychologique et la dignité de leurs employés.

Vingt ans plus tard, alors que les dispositions légales en matière de prévention du harcèlement au travail continuent d’évoluer, les demandes d’interventions et de formation en civilité se multiplient. De plus en plus sensibilisées à cet enjeu, de nombreuses organisations reconnaissent aujourd’hui l’importance des cinq piliers fondamentaux de la civilité au travail :

  • Respect
  • Savoir-vivre
  • Courtoisie
  • Politesse
  • Collaboration 

Nous constatons toutefois que les organisations continuent d'éprouver des difficultés à faire vivre ces concepts en virtuel, que ce soit pour les implanter, ou alors pour adresser les comportements déviants aux normes en place, faisant ainsi place à L'incivilité numérique.

 

Qu'est-ce que la civilité numérique au travail?

Chez Fika RH, nous définissons l’incivilité numérique comme l’ensemble des comportements, gestes ou paroles qui vont à l’encontre des normes reconnues de respect, savoir-vivre, courtoisie, politesse et collaboration, et ce, dans le cadre des communications numériques (courriels, messageries, portables, logiciels, cellulaires, réseaux sociaux, etc.).

L’objectif est de faire rayonner la civilité dont nous faisons preuve en présentiel, même lorsqu’un écran nous sépare.

Par exemple, pour promouvoir la courtoisie lors d’une rencontre virtuelle, il est recommandé de saluer chaque personne qui se joint à la réunion ou, à l’inverse, d’ouvrir sa caméra pour remercier un collègue qui quitte, afin de lui signifier son attention.

En contrepartie, l’usage abusif des majuscules ou de certains émoticons à connotation agressive est à proscrire ou à utiliser avec modération.

Cela peut sembler simple, mais en pratique, l’application concrète de ces principes dans un contexte virtuel demeure complexe. Lors de nos ateliers de civilité, le volet numérique est d’ailleurs celui qui suscite le plus de questions, d’incompréhension et de préoccupations.

 

Enjeux liés à l'incivilité numérique au travail

En l’absence de contacts directs, de repères et de limites tangibles, il peut s’avérer particulièrement difficile de faire vivre la civilité à travers l’écran. Les obstacles sont nombreux : difficultés de communication, biais cognitifs, absence de communication non verbale ou paraverbale, mauvaise qualité du réseau, styles de communication divergents et, surtout, moins de moments informels pour clarifier ou défaire les nœuds de mésentente. Dans ce contexte, le terrain est propice à l’escalade rapide des désaccords et à l’apparition de l’incivilité, bien plus qu’en présentiel.

La communication virtuelle nous prive d’une grande partie des informations nécessaires à la compréhension du message : seulement 7 % du sens passe par les mots, tandis que 38 % reposent sur le paraverbal et 55 % sur le non-verbal. Selon le média utilisé, il est donc probable que nous n’interprétions qu’une fraction de l’intention réelle !

Conséquence : ce manque d’information est vite comblé par nos propres interprétations, perceptions ou jugements basés sur le passé. Ces biais cognitifs ont souvent tendance à nous entraîner vers des scénarios négatifs, favorisant la prise de position, la mésentente et l’escalade inutile.

Chaque geste ou choix de communication prend alors une signification démesurée : le regard porté à la caméra ou ailleurs, le style d’écriture, la disponibilité ou non sur Teams, le niveau de participation dans le « chat »…

Quelques exemples concrets :

  • Une moitié de l’équipe garde sa caméra fermée… Peut-on l’exiger ?
  • Les messages dans le canal commun regorgent de sous-entendus…
  • En mode « ne pas déranger », mais les notifications persistent !
  • Un simple « pouce » au lieu d’un « cœur » : et si la personne s’en fichait ?

Autant de situations où l’interprétation prend le dessus, créant un climat propice aux doutes, aux perceptions et à l'escalade vers l’incivilité.

 

Comment favoriser la civilité numérique au travail?

Les organisation qui nous ont démontré les meilleurs succès sont évidemment celles où la civilité et le mieux-être au travail font partie intégrante de la culture organisationnelle. Désormais, le respect, le savoir-vivre, la collaboration, la courtoisie et la politesse devraient être au cœur de chaque interaction, que nous partagions le même espace physique ou non, et peu importe si nous sommes en accord ou non avec notre interlocuteur.

Pour progresser dans cette direction, éviter l’escalade rapide des tensions et favoriser la civilité numérique en milieu de travail, nous suggérons aux clients d’agir selon trois axes complémentaires : clarifier, nommer et promouvoir.

D’abord, clarifier consiste à expliciter les attentes en matière de comportements numériques : il s’agit de s’appuyer sur le code de civilité existant et de le décliner pour le contexte virtuel, en précisant ce qui est attendu dans les interactions numériques (par exemple, le ton à adopter, la gestion de la caméra en réunion, l’utilisation appropriée des réactions et outils de messagerie, le choix du bon canal selon la situation, et les marques de politesse virtuelle spécifiques à votre équipe ou votre organisation).

Nommer, c’est choisir d’ouvrir le dialogue : organiser des discussions d’équipe pour définir ensemble ce que représente la civilité numérique, partager les zones grises et recueillir exemples et préoccupations. Cette démarche responsabilise (un de nos mots préférés chez Fika RH!) chaque membre, lève les non-dits et limite les mauvaises interprétations à l’avenir. Ainsi, si mes collègues partagent leurs préférences ou réactions en virtuel, je comprends mieux leurs comportements par la suite.

Enfin, promouvoir implique de former et de sensibiliser gestionnaires et employés à la civilité numérique, afin qu’ils incarnent les bons comportements, interviennent rapidement en cas d’incivilité et soutiennent activement une culture de respect, y compris à distance. Il est aussi essentiel de communiquer régulièrement sur l’importance de ces pratiques et de valoriser les bons comportements pour ancrer durablement la civilité numérique dans l’équipe.

 

Conclusion

Promouvoir la civilité va bien au-delà des cinq piliers fondamentaux que sont le respect, la collaboration, le savoir-vivre, la courtoisie et la politesse. Elle transcende les murs de l’organisation et s’applique à toutes les interactions numériques auxquelles les employés sont exposés au travail.

Aujourd’hui, la civilité numérique constitue une condition indispensable au maintien d’un climat sain, sécuritaire et collaboratif, même à distance.

Dans un univers virtuel où l’interprétation prend souvent le pas sur l’intention, il appartient à chacun·e de jouer un rôle de modèle et de vigilance : chaque membre de l’organisation contribue, par ses gestes, ses mots et ses réactions, à la qualité des échanges et à la prévention des tensions. L’engagement collectif, soutenu par un cadre de gestion clair, des discussions ouvertes et des interventions ciblées, permet véritablement de faire vivre la civilité à travers l’écran et de bâtir une culture saine et épanouissante.